Gabon : on ne mange pas la Constitution… mais sans elle, tout se dévore
À quelques jours de l’élection présidentielle prévue le 12 avril, le Gabon vit un moment charnière de son histoire politique. Porté par un immense espoir populaire, le Général Brice s’avance vers les urnes en grandissime favori. Après des décennies de gestion opaque et d’héritage bongoïste, les Gabonais aspirent à un renouveau. Un véritable. Durable. Profond. Mais pour que cette transition politique soit à la hauteur des attentes, elle ne peut se contenter de symboles ou de slogans. Elle doit s’enraciner dans une architecture institutionnelle solide, dans une culture démocratique enracinée, dans une éthique publique irréprochable. Et c’est à ce niveau que certaines récentes déclarations inquiètent.
Quand les mots fragilisent l’espérance
Il y a quelques jours, Séraphin Akure Davain, porte-parole du candidat Oligui, a tenu des propos pour le moins troublants lors d’une intervention publique : « Les institutions fortes, mais pourquoi faire ? Au finish, excusez-moi, on ne mange pas la Constitution, on ne mange pas les institutions. » Cette phrase, prononcée dans un contexte aussi sensible, résonne comme une dissonance choquante dans l’orchestre de promesses de renouveau. Elle n’est pas qu’un simple écart de langage. Elle est révélatrice d’un rapport ambigu à la chose publique, à l’idée même de l’État, de la règle, du droit. Non, on ne mange pas la Constitution. Mais sans elle, tout se mange : les deniers publics, les principes, la confiance populaire, la justice, la liberté. Sans institutions solides et respectées, le pouvoir devient arbitraire, capricieux, clientéliste. Le passé récent du Gabon en est une douloureuse illustration.
La Constitution n’est pas un menu, c’est une boussole
Dans toutes les grandes démocraties du monde, la Constitution est plus qu’un texte. Elle est un contrat moral entre les gouvernants et les gouvernés. Elle est un rempart contre les abus, un guide pour les réformes, un socle pour la paix sociale. Elle garantit l’indépendance des juges, la séparation des pouvoirs, les libertés fondamentales. Dénigrer la Constitution, c’est fragiliser la République. C’est envoyer un signal d’irresponsabilité à ceux qui attendent une gouvernance juste. C’est, surtout, trahir l’idée même de refondation nationale.
Un renouveau ne se proclame pas : il se structure
Le Gabon est aujourd’hui à un carrefour. La transition menée par le président Oligui a suscité de l’espoir, tant par son discours de rupture que par des actes symboliques forts. Mais une rupture ne devient une refondation que lorsqu’elle s’appuie sur des institutions solides, respectées, modernisées.
Ce renouveau appelle donc à :
Une administration désenclavée et compétente
Des lois justes et appliquées équitablement
Une justice indépendante et crédible
Une presse libre et protégée
Une opposition respectée, non diabolisée
Et surtout, des élites conscientes de leur rôle et de leur responsabilité morale
Le sérieux n’est pas une option, c’est un devoir
La phrase du porte-parole Davain n’est pas un simple dérapage. Elle doit être une alerte. Une interpellation collective. Car il ne s’agit pas ici de faire un procès à un homme, mais de rappeler une exigence : le sérieux dans la parole publique, surtout lorsqu’on incarne une campagne présidentielle, est une condition fondamentale pour bâtir la confiance. Dans ce Gabon de l’après-Bongo, les citoyens ne veulent plus de demi-mesures, de petites phrases désinvoltes, de légèretés dangereuses. Ils veulent un État. Un vrai. Ils veulent des dirigeants qui comprennent qu’on ne gouverne pas un peuple avec des improvisations, mais avec des principes, des règles, et des institutions solides.
Le peuple gabonais mérite mieux
Les Gabonais ont trop souffert pour qu’on joue aujourd’hui avec la symbolique des institutions. L’éthique de la parole doit être au même niveau que l’ambition du programme. La rigueur doit accompagner la vision. Et chaque collaborateur du futur président devrait se souvenir d’une chose simple : on ne gouverne pas durablement un pays sans respecter les piliers sur lesquels il repose. La transition n’est pas un simple moment politique. C’est une promesse de transformation. Et cette promesse, il ne faut ni la galvauder, ni la trahir. Pas même par les mots.