Gabon : Oligui Nguema, un président otage de ses racines Teke et Fang ?
Le Gabon, terre de paradoxes, oscille depuis son indépendance entre l’idéal d’une nation unie et les tiraillements d’une société fragmentée par ses identités ethniques. Le coup d’État du 30 août 2023, qui a renversé la dynastie Bongo, a propulsé Brice Clotaire Oligui Nguema à la tête d’une transition censée rétablir la légitimité républicaine. Alors que le Gabon va élire le Président de la république, le favori, ce général au sang Teke et Fang, marié à une Nzebi, incarne une promesse autant qu’un péril : unificateur potentiel ou catalyseur des divisions tribales ?
Un héritage postcolonial en quête de sens
L’histoire politique gabonaise est un miroir brisé. Dès 1960, Léon Mba, père de l’indépendance, lançait « Gabon d’abord », un appel à transcender les clivages ethniques pour forger une nation. Cet idéal a survécu en slogan, mais rarement en pratique. Omar Bongo, puis son fils Ali, ont bâti leur pouvoir sur un savant dosage tribal, manipulant les loyautés ethniques pour asseoir leur domination. Avec ses 2,4 millions d’habitants et sa quarantaine de groupes ethniques – dont les Fang (32 %), les Teke (15-20 %) et les Nzebi (10-15 %) –, le Gabon reste une mosaïque instable. Le coup d’État de 2023 promettait une rupture. Pourtant, les tournées d’Oligui dans le Woleu-Ntem fang, ses racines teke et l’influence discrète de sa femme nzebi dessinent une autre réalité : celle d’un pouvoir porté par un triangle ethnique qui polarise plus qu’il ne rassemble.
Le tribalisme, mal invisible mais omniprésent
Sous Oligui Nguema, le tribalisme n’est pas un dérapage, mais une mécanique acceptée qui fragilise l’État. Le général se drape dans une rhétorique d’ordre et de redressement économique – 160 000 emplois promis, une manne pétrolière à redistribuer –, mais son silence sur les dynamiques tribales qui le soutiennent en dit long. Les associations comme « Pensée patriotique », héritière d’Ossimane– dont-il est d’ailleurs le Président d’honneur– son ancrage teke qui a façonné son destinprésidentiel, ou l’intervention en langue fang du président équato-guinéen Teodoro Obiang à Oyem, trahissent une ethnicisation rampante de la politique. Là où Léon Mba rêvait d’une citoyenneté gabonaise, Oligui laisse prospérer des réseaux implicites, des Fang aux Teke en passant par les Nzebi, sans jamais les désavouer.
Les chiffres, bien que lacunaires – le Gabon fuit les recensements ethniques officiels –, parlent d’eux-mêmes. Les élites politiques et syndicales reflètent une surreprésentation des grands groupes ethniques, et les soutiens d’Oligui suivent cette logique. Comparé au Cameroun de Paul Biya, où le tribalisme a figé le pouvoir au détriment de l’unité, ou à la Guinée équatoriale d’Obiang, où l’ethnie fang domine sans partage, le Gabon d’aujourd’hui semble hésiter entre stabilité clanique et fracture durable. Oligui ne trahit pas « Gabon d’abord » par des déclarations fracassantes, mais par un mutisme complice : le tribalisme est devenu le maître du jeu, et lui, son arbitre discret.
Quel Gabon après le 12 avril 2025 ?
Trois chemins s’offrent au Gabon post-élection. Le premier, une victoire d’Oligui portée par une coalition Teke-Fang-Nzebi, garantirait un pouvoir stable mais ethniquement segmenté. Les richesses seraient redistribuées, oui, mais selon des lignes tribales, éloignant le pays de l’esprit républicain. Le deuxième, plus ambitieux, verrait Oligui réinventer « Gabon d’abord » par une gouvernance inclusive – décentralisation équitable, transparence sur les équilibres ethniques. Cela supposerait un courage qu’il n’a pas encore montré. Le troisième, le plus sombre, mènerait à une érosion lente : sans vision unificatrice, chaque groupe chercherait à tirer profit de la transition, transformant l’État en champ de bataille identitaire.
Les Nzebi, incarnés par Zita Oligui, pourraient jouer les arbitres. Mais leur poids démographique modeste les relègue souvent à un rôle symbolique, loin de contrebalancer les ambitions des Fang et des Teke. Reste une vérité brutale : un leader ne se juge pas à sa capacité à surfer sur les divisions, mais à celle de les dépasser. Oligui a les cartes en main ; il lui manque encore la volonté de les jouer pour la Nation.
Un sursaut ou la résignation ?
À la veille du scrutin, le Gabon d’Oligui tangue entre espoir et renoncement. « Gabon d’abord » n’est plus qu’un écho lointain, noyé dans le silence d’un dirigeant qui préfère l’équilibre précaire des clans à la grandeur d’une République. Si rien ne change, le tribalisme, ce vieux démon postcolonial, aura gagné sans même avoir eu à se déclarer. Pour que le Gabon retrouve son souffle, il faudra plus qu’un général : il faudra un républicain.