Entre déséquilibre budgétaire et défi de crédibilité
Tout juste élu président de la République gabonaise à plus de 94 % des suffrages, Brice Clotaire Oligui Nguema entre dans le dur de la fonction. La scène politique est stabilisée, les symboles de la rupture sont posés. Mais la réalité économique, elle, ne pardonne pas. Notation financière en chute libre, dette publique galopante, attractivité en berne : l’économie gabonaise est en crise silencieuse. Pour le nouveau président, l’heure des arbitrages courageux a sonné.
Selon Fitch Ratings, la note de solvabilité du Gabon a été dégradée en février 2025 de CCC+ à CCC, signalant un niveau de vulnérabilité accru face à un risque de défaut de paiement. Une telle notation signifie concrètement que le pays inspire peu de confiance aux marchés internationaux et pourrait, à court terme, peiner à honorer ses engagements financiers. Plusieurs facteurs expliquent cette détérioration :
• Une dette publique supérieure à 65 % du PIB, avec une charge d’intérêts en hausse constante
• Une dépendance excessive aux revenus pétroliers, exposés à la volatilité des prix mondiaux
• Des recettes fiscales non pétrolières insuffisantes pour assurer un financement durable des politiques publiques
• Une gouvernance budgétaire encore floue, malgré les promesses de rationalisation
L’héritage du système Bongo : rente, clientélisme et opacité
Pendant des décennies, le régime Bongo a structuré l’économie gabonaise autour d’un modèle de rente et de captation. Le pétrole (qui représente plus de 80 % des exportations) a servi à alimenter des réseaux clientélistes, au détriment de la diversification économique et de la transparence budgétaire. Résultat de courses : une économie hypertrophiée, peu productive, peu compétitive, et trop dépendante de l’État. Brice Clotaire Oligui Nguema a hérité d’un système fragilisé, où l’administration publique est pléthorique, où les entreprises publiques sont déficitaires, et où la dette sert souvent à financer des dépenses récurrentes plutôt que des investissements structurants.
Les chantiers urgents : assainir, investir, réformer
Pour restaurer la solvabilité du Gabon et poser les bases d’une croissance durable, le nouveau régime devra mettre en œuvre un triptyque d’actions stratégiques :
- Assainir les finances publiques
Audit complet de la dette : identifier les créances illégitimes, renégocier les échéances prioritaires, suspendre les prêts non productifs.
Lutte contre la corruption et les fuites de capitaux : mettre en place une autorité indépendante de régulation financière et renforcer la traçabilité des dépenses publiques.
Réduction progressive des subventions inefficaces (carburant, électricité) et réorientation vers les aides ciblées pour les plus vulnérables.
- Réinvestir dans l’économie réelle
- Lancer un grand plan de relance basé sur l’agriculture, le bois, les mines et le tourisme, afin de sortir de la dépendance pétrolière.
- Créer un fonds souverain de transition économique, alimenté par les recettes pétrolières et géré de manière transparente avec l’appui d’institutions internationales.
- Soutenir les PME avec un programme national de microcrédit, d’accompagnement technique et de facilitation fiscale.
- Réformer l’environnement des affaires
- Simplifier le climat administratif et fiscal pour les investisseurs locaux et étrangers, avec des délais réduits pour la création d’entreprise, une justice commerciale efficace et des incitations claires.
- Renforcer la digitalisation de l’administration pour réduire les coûts et les risques de corruption.
- Nouer des partenariats public-privé intelligents, notamment dans les infrastructures, les énergies renouvelables et la logistique.
Des pistes audacieuses pour une souveraineté économique durable
Au-delà des mesures classiques, le régime Oligui pourrait faire preuve d’innovation stratégique en :
✅ Créant un « Observatoire national de la transparence budgétaire »
Cette entité impliquerait des membres de la société civile, des économistes indépendants et des représentants du Parlement. En outre l’organe permettrait de restaurer la confiance entre l’État et les citoyens sur l’utilisation des deniers publics.
✅ Négociant un moratoire partiel avec les créanciers internationaux
Objectif : obtenir un répit de deux à trois ans pour réorienter les ressources vers l’investissement productif, à condition d’un engagement ferme de réforme.
✅ Lançant une diplomatie économique proactive
Faire du Gabon une destination attractive pour les capitaux africains, arabes ou asiatiques, en insistant sur la stabilité retrouvée, les réformes enclenchées et les opportunités sectorielles (hydrogène vert, industrie pharmaceutique, transformation du bois).
✅ Introduire un impôt progressif sur les grandes fortunes
Une mesure symbolique mais forte pour relancer le débat sur l’équité fiscale dans un pays où une minorité détient une grande partie des richesses. L’heure n’est plus à la communication ou à la rhétorique de rupture. Pour Brice Clotaire, le véritable défi est celui de la crédibilité économique. Réduire la dette, attirer les investisseurs, redonner confiance aux citoyens, structurer une croissance inclusive… Voilà les chantiers qui l’attendent.
La trajectoire du Gabon dépendra désormais de la capacité du nouveau président à rompre avec les vieux réflexes et à ouvrir un cycle de transformation économique ambitieuse. Car un pouvoir légitime sans prospérité partagée reste, au fond, une équation inachevée.