La Contribution Foncière Unique (CFU) : Une Réforme Fiscale entre Ambitions et Défis.
Alors que le gouvernement gabonais cherche à rompre avec la rente pétrolière, une taxe refait surface dans le débat public : la Contribution Foncière Unique (CFU). Présentée comme une mesure de simplification et de justice fiscale, cette contribution peine encore à convaincre une population majoritairement mal informée et souvent méfiante. Entre opportunité budgétaire et crispations sociales, la CFU cristallise les tensions d’un pays en sortie de transition. Décryptage d’une réforme ambitieuse confrontée aux réalités du terrain.
Une réforme emblématique de la modernisation fiscale
Mise en application depuis le 1er janvier 2023, la Contribution Foncière Unique (CFU) incarne l’ambition du Gabon de repenser son système fiscal. Fusionnant la Contribution foncière des propriétés bâties (CFPB) et celle des propriétés non bâties (CFPNB), cette taxe vise à simplifier le dispositif foncier, élargir l’assiette fiscale et diversifier les ressources publiques. Mais deux ans après sa mise en œuvre, les résultats peinent à convaincre.
Dans un pays encore largement tributaire des revenus pétroliers, cette réforme s’inscrit dans un processus plus large, amorcé en 2019 avec l’appui du Fonds monétaire international (FMI). L’objectif : renforcer les finances locales et nationales, en dotant les collectivités territoriales de ressources nouvelles, capables de financer des services essentiels comme la santé, l’éducation ou les infrastructures.
Des recettes en deçà des attentes
Initialement, les projections budgétaires tablaient sur des recettes annuelles comprises entre 30 et 40 milliards de FCFA. Mais à l’issue de l’année 2024, les chiffres sont décevants : environ 13 à 14 milliards de FCFA ont été collectés, soit le même ordre de grandeur que les anciennes taxes supprimées. Le potentiel fiscal semble donc loin d’être pleinement exploité.
Ce constat s’explique en partie par les modalités de la CFU. Elle est calculée sur la valeur locative annuelle du bien, c’est-à-dire le loyer théorique qu’un logement pourrait générer. Pour les résidences principales, un abattement de 5 % est accordé avant application d’un taux de 3 %, soit une ponction effective de 2,85 % sur la valeur locative. Pour les autres propriétés – logements loués, résidences secondaires ou locaux commerciaux – un taux plus élevé de 15 % s’applique, après le même abattement initial.
Des exemptions… et des critiques
Plusieurs catégories de biens bénéficient d’exonérations : les propriétés de l’État, des collectivités locales, des ambassades (sous réciprocité), les biens à vocation éducative ou sociale, ou encore certains terrains agricoles. Le paiement est exigé chaque année avant le 30 mars, avec un délai de grâce courant jusqu’au 30 avril. Au-delà, des pénalités sont appliquées, allant de 10 % pour un simple retard à 50 % pour une non-déclaration.
Mais la réforme suscite des critiques, notamment pour son caractère potentiellement inéquitable. L’ancien Premier ministre Alain-Claude Bilie-By-Nze a dénoncé une taxe « injuste », reprochant à la CFU de frapper durement les détenteurs de titres fonciers tout en épargnant les nombreux propriétaires informels ou détenteurs de biens non enregistrés – notamment dans certains quartiers populaires de Libreville.
Un risque de fracture sociale
En l’absence d’un cadastre fiable et de données foncières précises, l’évaluation des valeurs locatives reste complexe. À cela s’ajoute une faible communication autour de la réforme. Selon un post viral publié sur X (anciennement Twitter) par le collectif LPJGabonais, « la majorité des Gabonais(es) ignorent même l’existence de cette taxe ». Une méconnaissance préoccupante qui s’ajoute à l’absence d’un portail numérique intuitif et à une sensibilisation insuffisante.
Sur le plan social, la CFU pourrait aggraver les inégalités. Les propriétaires à faibles revenus pourraient être contraints de répercuter la taxe sur les loyers, affectant des locataires déjà fragilisés par un pouvoir d’achat en berne. La réforme risque alors de devenir un facteur inflationniste dans le secteur immobilier et d’alimenter la défiance envers l’administration fiscale.
Une ambition à structurer
Dans d’autres pays d’Afrique, comme le Sénégal, le Cameroun ou la Côte d’Ivoire, des taxes foncières similaires existent. Mais le Gabon se distingue par son objectif ambitieux : tripler ses recettes. Une ambition légitime, à condition d’y adjoindre les moyens techniques et humains nécessaires. Cela passe par la modernisation de l’administration fiscale, une meilleure évaluation du patrimoine immobilier, et surtout, une transparence accrue sur l’usage des fonds collectés.
Réforme inachevée ou levier d’avenir ?
La CFU pourrait, si elle est bien pilotée, devenir un pilier du développement local et de l’autonomisation financière des collectivités. Mais en l’état, elle cristallise surtout les limites d’un État encore en transition fiscale. Méconnue, mal expliquée et faiblement appliquée, cette réforme montre que l’ambition seule ne suffit pas. Le Gabon est désormais face à un choix : faire de la CFU un instrument de confiance et d’équité, ou la laisser devenir un symbole de plus d’un système déconnecté de sa base citoyenne.