Robert Sarah, le pontife fantasmé : quand conservatisme africain et extrême droite occidentale se renvoient l’ascenseur
Le cardinal guinéen Robert Sarah est devenu une figure emblématique et paradoxale : admiré en Afrique comme le défenseur d’un catholicisme enraciné et plébiscité par l’extrême droite occidentale en quête d’un « anti-Pape » conservateur. Son profil—issu d’une trajectoire marquée par la résistance politique sous Sékou Touré et promoteur d’une liturgie « ad orientem »—alimente un fantasme papal à la croisée de logiques géopolitiques, identitaires et migratoires. Cet article explore les ressorts sociopolitiques de ce phénomène : pourquoi Robert Sarah séduit tant la droite radicale en Occident, ce que représente son nom « occidentalisé » et comment, en Afrique, il incarne à la fois fierté continentale, conservatisme religieux et influence sur les migrations vers l’Occident.
Robert Sarah : un parcours singulier entre résistance et ascension vaticane
Né en 1945 à Ourouss, en Guinée, Robert Sarah incarne un parcours exceptionnel pour un prélat africain. Issu d’une famille animiste, il découvre tôt la foi chrétienne et est formé par les missionnaires spiritains.
Ordonné prêtre en 1969, il devient archevêque de Conakry à 34 ans, se distinguant par son opposition au régime autoritaire de Sékou Touré. Cet engagement pour la liberté religieuse et la dignité humaine dans un contexte politique difficile forge sa réputation de défenseur des principes chrétiens face aux oppressions politiques et sociales.
En 2010, Benoît XVI le nomme cardinal, et son influence grandit au sein de l’Église catholique. Prefet de la Congrégation pour le culte divin, il occupe des fonctions stratégiques au Vatican, promouvant une liturgie traditionnelle et des valeurs conservatrices. Cet ascendant au sein de la curie romaine, dans un Vatican souvent perçu comme dominé par les puissances occidentales, fait de lui un représentant puissant de l’Église en Afrique et un acteur clé dans le débat sur l’avenir du catholicisme mondial.
Un conservatisme vigoureux qui trouve écho chez les catholiques traditionnalistes
Le cardinal Sarah n’a jamais caché ses positions fermes sur des questions doctrinales qui animent le catholicisme contemporain. Il est un ardent défenseur du célibat sacerdotal, s’opposant vigoureusement à toute réforme de cette tradition séculaire. Sa position sur la liturgie est également claire : il plaide pour un retour à la célébration « ad orientem », tournant le prêtre vers l’autel et non vers l’assemblée, comme pour rappeler un sens plus profond et plus sacré de la prière.
Son opposition aux droits des personnes LGBTQ+, sa critique acerbe des bénédictions des couples homosexuels et sa vision restrictive de la famille chrétienne en font une figure de proue du catholicisme conservateur. Il incarne cette orthodoxie spirituelle qu’une partie de l’Église catholique, surtout dans des pays comme les États-Unis et la France, appelle de ses vœux face à l’évolution des mœurs et des lois sociétales.
L’Afrique et le catholique conservateur : une figure de fierté et de conservatisme
L’ascension de Robert Sarah symbolise également l’émergence de l’Afrique comme centre de gravité spirituel pour l’Église catholique. Avec plus de 176 millions de catholiques sur le continent, l’Afrique devient un bastion essentiel pour l’avenir de l’Église catholique, d’autant que les églises européennes et américaines voient leur nombre de pratiquants diminuer.
Pour de nombreux Africains, l’ascension de Sarah représente une victoire symbolique. Elle met en lumière la capacité du continent à produire des leaders religieux d’envergure mondiale et à réorienter la scène catholique mondiale.
Ce phénomène s’inscrit dans un contexte où les catholiques africains demandent plus de visibilité et de représentation dans les sphères décisionnelles du Vatican.
Cependant, cette montée en puissance de l’Église en Afrique n’est pas sans enjeux. Robert Sarah, tout comme d’autres cardinaux africains, incarne un conservatisme religieux fortement ancré dans les réalités sociales du continent. Ce conservatisme se traduit par une position rigoriste sur des questions telles que l’avortement, la contraception et le rôle des femmes dans l’Église. Ces positions s’opposent parfois aux discours progressistes, souvent portés par des acteurs internationaux, sur les droits des femmes et des minorités sexuelles.
Pourquoi l’extrême droite occidentale a fait de Robert Sarah un « chouchou »
L’extrême droite européenne et américaine, dans ses multiples déclinaisons, a trouvé en Robert Sarah un allié idéal, un modèle de rigidité doctrinale qui résonne avec ses propres valeurs identitaires. Le cardinal, tout en étant africain, incarne une vision de l’Église catholique fermement opposée à l’immigration massive et au multiculturalisme, deux thèmes chers à l’extrême droite.
Sa critique de l’immigration, qu’il considère comme une menace pour l’identité chrétienne de l’Europe, s’inscrit dans une vision du monde proche des discours anti-migrants qui circulent dans les milieux nationalistes européens et américains. Il dénonce ce qu’il appelle une « submersion culturelle » de l’Europe par les populations immigrées, et voit dans l’afflux de migrants une érosion des valeurs chrétiennes et traditionnelles.
Il n’est pas surprenant, dès lors, que Robert Sarah soit vu comme une sorte de « contre-Pape » par certains leaders d’extrême droite, qui y voient une figure capable de remettre en question l’ouverture du Vatican sous le pontificat de François, jugé trop progressiste, notamment sur les questions sociales et migratoires.
L’ambiguïté du nom : « Robert Sarah », un pont entre deux mondes
L’un des aspects les plus fascinants de Robert Sarah est la façon dont son nom résonne à la fois en Afrique et en Occident. Bien que d’origine africaine, son nom, « Robert Sarah », est perçu comme occidental. Ce phénomène de « nom occidental » peut être vu comme un atout pour sa visibilité et son acceptation dans les cercles conservateurs européens et américains. Cela pourrait, en partie, expliquer pourquoi il est perçu comme une figure acceptable et potentiellement papable dans un Vatican où la question de la « diversité » des origines est toujours sensible.
Cet aspect de son identité montre comment l’Afrique, tout en affirmant ses propres valeurs et traditions, doit parfois naviguer entre les influences et les attentes de l’Occident. Ce paradoxe est au cœur de l’ambivalence de son image : un homme d’origine africaine mais portant un nom qui peut sembler plus « européen », un message de compromis entre deux mondes souvent perçus comme opposés.
L’Afrique migrante et les paradoxes de la droite européenne
Le plus grand paradoxe autour de Robert Sarah réside dans l’alignement improbable entre les conservateurs africains et les milieux anti-migrants européens. En effet, une partie de l’élite catholique africaine partage avec l’extrême droite occidentale une vision commune de la migration, fondée sur une certaine crainte de l’impact démographique et culturel de l’immigration sur l’Occident. De ce point de vue, la vision du cardinal sur l’immigration résonne avec celle de certains groupes qui, en Afrique, dénoncent les « invasions » en provenance du continent africain.
Ironiquement, certains mouvements anti-migrants en Europe voient dans les discours de Sarah une justification idéologique à leurs positions, alors que beaucoup d’Africains partent eux-mêmes en quête de meilleures conditions de vie en Occident. Cette convergence de vues, qui semble paradoxale à première vue, montre comment les enjeux migratoires et identitaires sont désormais au centre des débats géopolitiques mondiaux.
Robert Sarah, un homme des paradoxes et des tensions géopolitiques
Le phénomène Robert Sarah ne se résume pas à un simple débat sur sa candidature au Vatican. Il est le reflet des tensions géopolitiques actuelles et des luttes d’influence entre l’Afrique et l’Occident, le conservatisme et le progressisme. À travers son image, ce sont des questions profondes sur l’identité, la migration, la culture et l’Église qui se jouent. Le cardinal incarne une double figure : celle de l’élévation de l’Afrique au sein du Vatican, et celle d’un conservatisme catholique, qui trouve des échos tout autant dans les églises africaines que dans les salons de l’extrême droite européenne. En ce sens, son ascension, qu’elle soit papale ou non, marquera une étape importante dans la redéfinition du rôle de l’Église dans le monde moderne.