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Après la transition, le vrai défi du Gabon : faire rentrer les militaires dans les casernes

  • Brigitte Onkanowa appelle les militaires à retourner dans les casernes.
  • Plusieurs militaires continueront d’occuper leurs fonctions politiques.
  • D’autres pays africains ont connu des difficultés de similaires.

Le Gabon se trouve à un moment charnière de son histoire politique. Après le coup d’État du 30 août 2023 mené par les Forces armées gabonaises (FAG), le pays s’apprête à tourner une nouvelle page avec la prestation de serment imminente du président élu Brice Clotaire Oligui Nguema. Dans ce contexte, la question du retour des militaires dans leurs casernes se pose avec acuité, comme une épine qu’il faudra extraire sans trop faire saigner l’équilibre institutionnel.

Une transition militaire complexe

La récente tournée de la ministre civile de la Défense nationale, Brigitte Onkanowa, dans les casernes du Grand Libreville, illustre la volonté d’amorcer ce retour à la « grande muette ». D’une voix ferme mais mesurée, elle a rappelé aux forces armées les principes d’ »exemplarité éthique », de « fidélité absolue à la Constitution » et de « neutralité politique stricte ». Des mots qui sonnent comme un rappel à l’ordre, mais dont l’application s’annonce semée d’embûches.

Car le décor est plus complexe qu’il n’y paraît. De nombreux militaires occupent aujourd’hui des responsabilités politiques stratégiques : délégués spéciaux dans plusieurs mairies, membres du parlement de transition… Et même après la prestation de serment d’Oligui Nguema, les élections locales et législatives n’étant pas encore à l’ordre du jour, certains officiers resteront ancrés dans leurs fonctions bien après l’avènement officiel de la cinquième République. Un pied dans les casernes, un autre dans l’arène politique : l’équilibre est fragile.

Le paradoxe Oligui Nguema

La singularité gabonaise réside dans la figure même du nouveau président. Brice Clotaire Oligui Nguema n’est autre que le général qui a mené le coup d’État de 2023 avant de présider la transition. Sa victoire électorale crée une situation inédite : un putschiste devenu chef d’État civil par les urnes.

Cette réalité soulève une question cruciale : comment les FAG peuvent-elles retrouver leur neutralité politique quand leur ancien chef siège désormais au palais présidentiel ? Quels garde-fous empêcheront l’armée de continuer à influer sur les décisions de l’exécutif ? Le risque est celui d’une dépolitisation de façade, où les uniformes quitteraient la scène politique sans vraiment en sortir.

Les risques d’une dépolitisation incomplète

L’histoire africaine regorge d’exemples où le retour des militaires dans leurs casernes n’a été qu’un jeu d’apparences. Formellement, les officiers regagnent leurs quartiers ; dans les faits, leur ombre plane encore sur les couloirs du pouvoir. Au Gabon, la date encore inconnue de l’organisation des élections locales et législatives prolonge cette zone grise où des militaires continueront d’exercer des mandats politiques tout en étant censés respecter la neutralité de leur institution.

Un autre écueil guette : les divisions internes. Tous les officiers ne partagent pas nécessairement la même vision de ce désengagement. Certains, habitués aux privilèges du pouvoir, pourraient rechigner à abandonner leur influence. D’autres, plus disciplinés, pourraient voir dans cette transition une chance de redorer l’image des FAG.

Leçons d’autres transitions africaines

Le continent offre des expériences contrastées. Au Ghana, Jerry Rawlings a réussi sa mue de putschiste en président élu en 1992, mais la démilitarisation complète de la vie politique a pris des années. À l’inverse, le Niger et le Mali illustrent la fragilité des transitions : après des retours précaires à l’ordre constitutionnel, les militaires y ont repris le pouvoir à plusieurs reprises.

Ces exemples rappellent une évidence : sans réformes structurelles, sans contrôle civil renforcé et sans amélioration des conditions de vie des soldats, toute dépolitisation reste vulnérable aux revirements.

Conditions pour une transition réussie

Pour que le retour aux casernes ne soit pas un leurre, plusieurs impératifs s’imposent. Une réforme en profondeur du secteur de la sécurité est indispensable pour clarifier les frontières entre armée et politique. Sans cela, les militaires garderont toujours une porte entrouverte vers les affaires de l’État.

Un calendrier crédible de désengagement doit également être établi, même en l’absence d’élections immédiates. L’objectif ? Éviter que des postes-clés ne se transforment en fiefs militaires durables. Enfin, il faudra veiller à désamorcer les frustrations internes, car une armée avec des éléments marginalisés reste une bombe à retardement.

Un équilibre délicat à trouver

Le défi gabonais est de taille : réussir là où d’autres ont échoué. Avec un président issu des rangs de l’armée et des officiers encore aux manettes de plusieurs institutions, la dépolitisation des FAG ressemble à un parcours d’obstacles. Pourtant, c’est à ce prix que la cinquième République pourra se construire sur des bases solides.

Le retour des militaires dans leurs casernes n’est pas qu’une question de protocole ou de symbole. C’est le test ultime de la maturité démocratique gabonaise. Et l’histoire, elle, est impitoyable avec ceux qui échouent à relever ce défi.

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