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Henri-Claude Oyima : Le banquier devenu argentier de l’État

Libreville, mai 2025. Figure de proue de la finance gabonaise et continentale, Henri-Claude Oyima vient de franchir un cap décisif : il quitte la sphère bancaire pour intégrer le gouvernement du président Brice Clotaire Oligui Nguema, en tant que ministre d’État, chargé de l’Économie, des Finances, de la Dette et des Participations. Cette nomination, officialisée ce 5 mai 2025, marque un tournant dans la stratégie du nouveau pouvoir, qui entend ancrer sa légitimité sur une gestion plus technocratique et performante des affaires publiques.

Un parcours bancaire d’exception

Formé aux États-Unis, Henri-Claude Oyima a suivi un cursus en administration des affaires à l’Université de Washington avant d’obtenir un master en banque à l’American University. Il entame sa carrière en 1982 chez Citibank à New York, puis rejoint la filiale gabonaise avant d’intégrer Paribas Gabon en 1983. Il y gravit rapidement les échelons pour devenir directeur général dès 1985, à seulement 29 ans. Lorsque la maison-mère française quitte le pays en 1996, Oyima orchestre la transformation de la banque en BGFIBank. Il prend alors la direction de cette nouvelle entité, qu’il ne quittera plus : il en devient président du conseil en 2000, puis président-directeur général du groupe en 2012.

Sous sa houlette, la BGFIBank devient un géant bancaire régional. Présente dans onze pays d’Afrique et en France, la banque affiche en 2024 un résultat net consolidé de 122 milliards de francs CFA pour un total de bilan dépassant 950 milliards. Au-delà du secteur bancaire, Oyima s’impose comme une figure incontournable du patronat gabonais, notamment à travers la Fédération des Entreprises du Gabon, qu’il préside plusieurs années durant. Ce double ancrage – à la fois financier et entrepreneurial – a façonné un profil rare, apprécié autant des milieux d’affaires que des institutions internationales.

Une nomination stratégique dans le contexte post-transition

Le président Oligui Nguema, fraîchement élu après une transition politique entamée en août 2023, a souhaité renouveler son gouvernement avec des personnalités issues du secteur privé et de la société civile. Le choix d’Henri-Claude Oyima s’inscrit pleinement dans cette logique. Il s’agit non seulement d’introduire des compétences techniques solides à la tête de ministères clés, mais aussi d’envoyer un signal fort aux bailleurs de fonds, aux agences de notation et aux marchés. Avec Oyima à la manœuvre, l’exécutif entend crédibiliser sa promesse de redressement économique.

Mais cette décision n’est pas uniquement technocratique. Elle répond aussi à un calcul politique. En intégrant une figure reconnue du monde des affaires, le président cherche à élargir sa base de soutien au-delà des cercles militaires. L’ancien PDG de la BGFIBank apparaît alors comme un pont entre l’État et les milieux économiques, notamment le patronat national. Ce choix s’explique d’autant plus qu’Oyima, à la tête de la FEG, avait été l’un des porte-voix des réformes réclamées par les entrepreneurs lors de la transition, notamment en matière de dette intérieure, de fiscalité et de gouvernance des entreprises publiques.

Un portefeuille ministériel stratégique et étendu

Le ministère confié à Oyima est loin d’être symbolique. Il s’agit d’un super-ministère englobant l’économie, les finances, la gestion de la dette et les participations de l’État dans les entreprises. Fait notable : sa mission comprend également la « lutte contre la vie chère », signe que le gouvernement attend de lui des résultats concrets sur le front social. Ce vaste portefeuille place Oyima au cœur de la politique publique, avec pour responsabilité de définir la trajectoire budgétaire, d’encadrer les emprunts, de superviser les entreprises publiques stratégiques et de répondre aux préoccupations pressantes des citoyens sur le pouvoir d’achat.

Son rôle dans l’opération « Mouéle » de reprofilage de la dette nationale a été décisif au cours des derniers mois. Fort de cette expérience, il devra poursuivre les négociations avec les créanciers internes, tout en rassurant les partenaires extérieurs sur la capacité du Gabon à honorer ses engagements. Cette opération vise à rendre la dette plus soutenable à moyen terme, dans un contexte où le service de la dette pèse lourdement sur les finances publiques.

Par ailleurs, la relance économique ne pourra se faire sans la restauration d’un climat de confiance. Le nouveau ministre est donc attendu sur les volets de la transparence budgétaire, de la rationalisation des dépenses publiques et de l’attractivité des investissements. Les défis sont immenses : diversification de l’économie au-delà des hydrocarbures, développement des PME, réforme des subventions, encadrement de l’inflation et maîtrise des déficits.

Une nomination porteuse d’espoirs… et de questions

La désignation d’Henri-Claude Oyima est perçue comme une bonne nouvelle par les milieux d’affaires, qui saluent l’arrivée d’un homme de dossier, capable d’interagir avec les acteurs économiques locaux et internationaux. Elle suscite aussi l’intérêt des institutions multilatérales, qui voient en lui un interlocuteur crédible. Son expérience du secteur bancaire régional, ses réseaux et sa connaissance fine des mécanismes financiers lui confèrent une légitimité indéniable pour piloter les réformes structurelles.

Cependant, cette nomination n’est pas exempte d’interrogations. Certains observateurs soulignent la possible proximité entre Oyima et certaines figures du pouvoir, notamment dans les sphères militaires. D’autres pointent son passé au sein de l’establishment économique sous le régime Bongo, ce qui pourrait brouiller le message de rupture prôné par Oligui Nguema. Enfin, gérer les finances publiques n’est pas diriger une banque : les logiques de performance, de rigueur et de rentabilité doivent ici s’accommoder des réalités sociales, des arbitrages politiques et des contraintes macroéconomiques.

Une attente sociale et politique élevée

Pour les Gabonais, l’urgence est claire : améliorer les conditions de vie. Le panier de la ménagère s’alourdit, les salaires stagnent et les inégalités s’accentuent. Le nouveau ministre sera jugé non pas sur sa carrière passée, mais sur sa capacité à produire des résultats visibles. Baisser les prix des produits de première nécessité, stabiliser la monnaie, relancer l’investissement public et privé, désendetter l’État tout en maintenant des services sociaux essentiels : tels sont les chantiers qu’il devra mener de front.

Henri-Claude Oyima entre au gouvernement dans un moment charnière. S’il réussit, il pourrait incarner le visage technocratique du renouveau gabonais promis par Oligui Nguema. Mais il sait aussi que l’ère des promesses est révolue. Désormais, ce sont les actes qui comptent.

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