Soldats en cravate : la double casquette des anciens du CTRI
Libreville, 5 mai 2025 – Le président Brice Clotaire Oligui Nguema a formellement publié ce lundi le décret désignant les membres de son premier gouvernement de la Ve République. Deux figures emblématiques de la transition militaire au Gabon, le colonel Ulrich Manfoumbi Manfoumbi et le général de corps d’armée Brigitte Onkanowa, confirment leur bascule définitive vers la sphère civile en intégrant respectivement les portefeuilles des Transports et de la Défense nationale. Comme le chef de l’État lui‑même, ils ne réintègrent pas les casernes mais prolongent leur carrière au sein de l’exécutif.
Un virage politique issu du CTRI
Le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI), créé le 2 septembre 2023 à la suite du coup d’État du 30 août, avait pour mission de suspendre la Constitution, dissoudre le Parlement et préparer le retour à l’ordre démocratique. Sous la direction du général Oligui Nguema, le CTRI a conduit en quatre étapes la feuille de route de la transition : stabilisation sécuritaire, réformes constitutionnelles, dialogue national et organisation de l’élection présidentielle du 12 avril 2025, remportée par Oligui Nguema avec plus de 94 % des voix selon les résultats définitifs de la Cour constitutionnelle. La dissolution officielle du comité est intervenue le 2 mai, ouvrant la voie à la Ve République.
Du képi aux ors du pouvoir
Ulrich Manfoumbi Manfoumbi, colonel et ancien porte‑parole du CTRI, est nommé ministre d’État des Transports, de la Marine marchande et de la Logistique. Pendant la transition, il a assuré la communication des décisions du comité et coordonné les mesures d’urgence liées au ravitaillement et à la sécurité routière. Son profil technique est mis à profit pour relancer les grands chantiers d’infrastructures portuaires, notamment le projet de zonage économique spéciale de Nkok.
Brigitte Onkanowa, général de corps d’armée et première femme à occuper la Défense sous la transition, garde le ministère de la Défense nationale. Chargée depuis 2023 de la réforme des forces, elle pilote désormais un vaste plan de modernisation militaire qui doit renforcer la capacité opérationnelle des troupes et redéployer certaines garnisons vers l’intérieur du pays.
À leurs côtés, le brigadier‑général Maurice Ntossui Allogo, autre figure majeure du CTRI, prolonge lui aussi son aventure politique hors des rangs militaires. Nommé ministre des Eaux et Forêts, de la Préservation de l’Environnement, chargé du Climat et du Conflit Homme‑Faune dès septembre 2023, Allogo était parallèlement directeur de cabinet militaire du président de transition.
Réactions partagées en ligne
Les réactions des internautes sont vives et contrastées : certains saluent d’abord la stabilité que garantissent des ministres rompus aux défis logistiques et sécuritaires – « Ils connaissent le terrain ; leurs compétences sont un atout », lit‑on sur un fil d’actualité consacré à la composition gouvernementale – tandis que d’autres expriment leur étonnement face à la persistance d’une « culture casernarde » au sein de l’exécutif, estimant que « la transition devrait s’accompagner d’un retour strict des militaires à la vie civile ». Entre ceux qui y voient un gage de continuité post‑transition et ceux qui redoutent une mainmise prolongée des anciens officiers, le débat témoigne de l’importance accordée, par l’opinion publique, à la séparation entre sphère militaire et sphère civile au Gabon.
Enjeux démocratiques et équilibre institutionnel
Plusieurs observateurs pointent qu’alors que de nombreux pays imposent le retour strict des militaires dans leurs rangs après un coup d’État, Libreville a choisi de maintenir une forte présence militaire au cœur de l’État civil. Pour certains, cette continuité garantit la loyauté des forces armées et la stabilité du régime post-transition. Pour d’autres, elle perpétue une culture politico-militaire jugée incompatible avec une séparation claire des pouvoirs.