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Camélia Ntoutoume Leclercq, l’indéboulonnable ministre de l’Éducation nationale du Gabon

Le lundi 5 mai 2025, le président Brice Clotaire Oligui Nguema a dévoilé la composition de son premier gouvernement de la Cinquième République gabonaise. Parmi les figures maintenues, Camélia Ntoutoume Leclercq conserve son poste de ministre d’État de l’Éducation nationale (Instruction civique et Formation professionnelle). Ce choix marque la confiance continue des autorités dans cette cadre expérimentée : la presse locale rappelle qu’il s’agit d’une « manière de rappeler qu’elle a su instaurer le dialogue avec les différentes structures syndicales ».

Parcours politique

Diplômée en gestion, Camélia Ntoutoume Leclercq est entrée à l’âge de 29 ans dans l’action politique nationale. Elle fait d’abord carrière au sein des cabinets ministériels (conseillère au Premier ministre puis à la Primature) avant d’accéder au gouvernement en 2020 comme ministre déléguée à l’Enseignement supérieur et à l’Éducation nationale. En mars 2022, elle est promue ministre de l’Éducation nationale et de la Formation civique sous le gouvernement d’Ali Bongo (dernier mandat PDG). À ce titre, elle a mis en œuvre plusieurs réformes (programmes scolaires, examens nationaux, formation des enseignants, etc.). Après le coup d’État d’août 2023, elle est rapidement reconduite dans le gouvernement de transition de Raymond Ndong Sima (septembre 2023), retrouvant « son ancienne fonction » ministérielle. En mai 2025, son maintien au sein du gouvernement post-référendaire vient confirmer son profil incontournable dans le secteur éducatif gabonais.

Réactions politiques et syndicales

Sa reconduction suscite des réactions contrastées. Du côté politique, les médias gabonais saluent ce maintien comme un gage de stabilité et de continuité. Beaucoup soulignent sa capacité à dialoguer avec les syndicats d’enseignants pour éviter les grèves fréquentes du passé. Parmi les proches de l’ancien régime, on rappelle son engagement pour l’égalité femmes-hommes (création d’un réseau de 5 000 enseignantes) et son rang de jeune cadre qualifié. Cependant, certains syndicats restent critiques. Le Syndicat national des enseignants-chercheurs de l’École normale supérieure (SNEC-ENS) a notamment vigoureusement dénoncé fin 2024 ce qu’il estime être son « défiance légendaire » dans la gestion de l’ENS. En janvier 2025, le président du SNEC-ENS a qualifié de « provocation » les démarches ministérielles et mis en garde contre le risque de blocage du système universitaire. De fait, des tensions subsistent entre le ministère et certaines instances académiques, même si la ministre cherche à maintenir un dialogue ouvert. Dans la société civile, la nomination a été perçue en majorité comme le signe que le gouvernement sortant souhaite donner la priorité aux dossiers sociaux (éducation, santé).

Réalisations marquantes du ministère

Sous son magistère, plusieurs chantiers concrets ont été lancés :
Introduction de l’anglais au primaire. En octobre 2022, elle a inauguré la phase expérimentale de l’enseignement de l’anglais dès le pré-primaire et le primaire dans le Grand Libreville. Cette initiative vise à préparer les élèves gabonais à l’adoption de l’anglais comme deuxième langue officielle (Gabon membre du Commonwealth). Selon la ministre, la première vague d’enseignants expérimentateurs formés a déjà commencé à diffuser leurs acquis en classe.

Digitalisation de l’enseignement. En décembre 2022, un projet pilote soutenu par l’UNICEF a été lancé pour équiper neuf écoles primaires en tablettes et cours en ligne. Camélia Ntoutoume-Leclercq en a expliqué les objectifs : connecter les écoles à Internet, encourager l’usage du numérique par les enseignants, et numériser les cours du primaire sur une plateforme en ligne. Ce programme expérimental met 500 tablettes à la disposition de 1 500 élèves, permettant ainsi l’accès à des manuels numériques et ressources éducatives même en milieu rural.

Infrastructures scolaires modernisées. Le 4 décembre 2024, elle a lancé la construction (et réhabilitation) de six complexes scolaires dans le Grand Libreville, dans le cadre de la deuxième phase du Programme d’Investissements du Secteur Éducatif (PISE). Les travaux incluent la création du plus grand complexe scolaire du pays et la modernisation de collèges et lycées existants. Ces nouvelles infrastructures, financées par l’État, traduisent « notre engagement pour une éducation de qualité », a déclaré la ministre.

Au total, son bilan combine infrastructures rénovées, innovations pédagogiques (anglais, numérique) et procédures administratives améliorées (examen du baccalauréat, gestion scolaire). Elle a également initié des partenariats (par exemple avec la plateforme YouScribe) pour développer des supports d’apprentissage numériques, et promu la formation continue des enseignants (programme PASEC, formations aux nouveaux programmes).

Défis et enjeux actuels

Le ministère de l’Éducation nationale fait toujours face à d’importants défis structurants. Les observateurs soulignent trois priorités principales : améliorer les infrastructures scolaires, renforcer la formation initiale et continue des enseignants, et garantir l’accès équitable à l’école pour tous les enfants gabonais. Le cabinet ministériel devra poursuivre la réforme des programmes scolaires, afin de les aligner sur les standards internationaux et répondre aux besoins du marché de l’emploi. Par ailleurs, la réduction des écarts entre zones urbaines et rurales – notamment en matière de matériels, d’installations sportives et d’Internet – reste un enjeu majeur. La transition numérique, amorcée avec le projet pilote de tablettes, doit s’étendre davantage à l’ensemble du pays. Enfin, la profession enseignant nécessite une valorisation accrue : des syndicats rappellent régulièrement l’urgence d’une revalorisation statutaire et salariale pour éviter le découragement des cadres pédagogiques.

Ainsi, alors que Camélia Ntoutoume-Leclercq entame son nouveau mandat ministériel, elle hérite d’une feuille de route exigeante. Entre la mise en œuvre des récents projets ambitieux et la levée des résistances locales, l’« indéboulonnable » ministre devra conjuguer rigueur administrative et concertation pour faire avancer le système éducatif gabonais dans ce nouveau contexte politique.

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