Société

Gabon : L’éducation à la citoyenneté pour faire évoluer les mentalités et les comportements ?

A-t-on les dirigeants que l’on mérite ? Quelles sont les raisons qui nous empêchent d’avancer vers plus de démocratie alors que les autres pays y arrivent ? Pourquoi ces crises cycliques ? Y-a-t-il une fatalité ? Au risque de paraître cynique, hélas, ma réponse est « oui, nous avons les dirigeants que nous méritons ». Nos politiciens ne tombent pas du ciel mais sont bien les produits de notre société.

Le Gabonais est-il un bon citoyen ?Non. Et le responsable n’est pas seulement la pauvreté mais aussi l’ignorance. L’ignorant ne comprend pas le monde qui l’entoure. Il se laisse facilement séduire par les belles paroles de manipulateurs et obéit (et désobéit) sans forcément être conscient des conséquences de ses actes. Mais il n’y a pas de fatalité. Il est possible de sortir de cette obscurité à condition seulement de faire de l’éducation à la citoyenneté une priorité absolue. Mais dans quelle mesure exacte, et de quelle manière ?

Mes codes

« Le rapport au savoir et à la raison est au fondement de la citoyenneté, davantage que de bons sentiments », souligne le sociologue Philippe Pierrenoud. Le défi est donc d’améliorer la qualité de l’éducation. Au-delà d’une instruction civique, qui explique les institutions et les lois de la République, les droits et devoirs du citoyen, la nécessité du bien-vivre ensemble…, il s’agit surtout de revoir notre méthode de transmission du savoir, de manière à ce que l’apprentissage des valeurs aille de pair avec celui des savoirs.Ces valeurs sont la loyauté, le respect d’autrui et donc du Bien public, l’interdit de la violence, sans quoi la société serait une jungle. Et cela se construit (et se déconstruit aussi) dès le berceau, car l’être humain n’est pas «naturellement bon » au point de limiter spontanément sa liberté aux droits du voisin. Une tâche qui n’incombe pas seulement à l’enseignant, mais à tout adulte, les parents en premier. Les enseignants se retrouvent souvent à suppléer aux défaillances des familles. Ce qui n’est pas normal. D’autant qu’ils ont perdu leur prestige, car de plus en plus d’élèves ne voient en l’enseignant qu’un simple larbin. Même dans le supérieur, où l’amphithéâtre de certains départements donne davantage le spectacle d’une ménagerie que d’une élite en pleine ébullition intellectuelle :certains jouent à la belote, d’autres sifflent les retardataires, quand ils ne terminent pas paisiblement leur nuit.

Deuxièmement, l’histoire doit être une discipline essentielle, car elle apporte des repères nécessaires pour regarder l’avenir. Elle explique pourquoi et comment nous sommes arrivés à ce point de l’histoire aujourd’hui. Le citoyen a besoin d’un équipement intellectuel lui permettant d’examiner ce passé, de le comprendre, de respecter ce qui a été construit et gagné dans la lutte, et d’éviter de passer par les mêmes erreurs et réécrire la même histoire. Des milliers de gens ont, par exemple, péri pour notre Indépendance. Mais qu’en avons-nous fait ? Avons-nous su rendre honneur à ces aînés ?Par ailleurs, c’est cette histoire que nous partageons qui nous unit et qui nous fait sentir appartenir au même groupe partageant les mêmes intérêts.

Troisièmement, il faudrait dès l’école initier l’enfant aux principes démocratiques : organisation de débats, prises de paroles, votes, confrontations d’idées et d’intérêts, désignation de délégué, etc. Ces débats lui permettent d’apprendre à écouter les autres arguments, de se forger une opinion, de défendre un point de vue sans se laisser déstabiliser, d’avoir confiance en lui, d’apprendre à négocier et à gérer les conflits en se distanciant de ses émotions,de critiquer tout en proposant des solutions alternatives… C’est ainsi que l’enfant pourra devenir un citoyen responsable, acteur de la vie de la Nation. Cela implique la libre confrontation des opinions, ce qui veut dire la possibilité pour toutes les opinions de se confronter, d’être écoutées et respectées. Car il faut toujours avoir le courage d’entendre tous les arguments et de les passer au crible par la suite. À l’issue de ces débats, l’élève doit comprendre que l’on ne gagne pas à tous les coups et qu’il faut respecter le choix de la majorité. La démocratie, en effet, repose sur un compromis, celui d’accepter de n’avoir pas toujours le gouvernement ou la politique de ses voeux. À l’inverse, malheur aux vainqueurs qui ne savent pas entendre l’écho de la minorité.

Quatrièmement, l’éducation doit être une construction progressive de la pensée : surmonter les obstacles par le tâtonnement, le questionnement, la remise en question. Il s’agit bien d’éveiller le goût de la réflexion pour une meilleure structuration de la pensée, le goût de l’échange, le goût d’une construction collective en débattant. Il faudrait donc privilégier les questions aux réponses, la démarche au résultat, la qualité et l’assimilation à la quantité.De plus, cette méthode susciterait l’intérêt de l’enfant quant aux savoirs qui lui sont transmis, et lui ferait comprendre leur utilité. C’est aussi l’occasion d’encourager la créativité car le citoyen ne doit pas être qu’un simple consommateur. Il est aussi un producteur d’idées et un acteur de développement. Cela exige très certainement des professeurs passionnés par leurs disciplines, possédant une large culture et une connaissance approfondie de celles-ci, une qualité relationnelle mais aussi un allègement du programme.

Cinquièmement, pour préparer l’enfant à entrer dans le mode adulte, il faut l’initier à la lecture des journaux car «bien informés, les hommes sont des citoyens, mal informés, ils deviennent des sujets », et leurs votes ne veulent plus rien dire. La démarche à lui apprendre doit être principalement la distinction entre les faits établis et les appréciations. Cela peut être effectué, par exemple, pendant les cours de langue, au même titre que la lecture de textes littéraires. L’exercice consiste à l’entraîner à analyser une situation et à critiquer une information de manière à développer sa pensée critique et renforcer sa résistance contre toute forme d’emprise. Un peuple bien éduqué nese laisse pas berner par le premier bouffon venu qui dramatise la situation tout en faisant des promesses alléchantes pour s’emparer du pouvoir. On ne prend donc aucun risque en affirmant que l’éducation conditionne l’avenir d’un pays. Et tout le monde en a besoin, aussi bien le citoyen que ceux qui gouvernent.

Mais qui est l’exemple ?

Hélas, l’éducation est limitée par le contexte politique et les moyens économiques dans laquelle elle s’exerce. La majorité de nos écoles ne possèdent même pas de bibliothèque et les élèves n’ont pas accès aux livres. Les riches bénéficient donc d’une meilleure éducation car ils peuvent se permettre d’envoyer leurs enfants dans les meilleurs établissements ou même à l’étranger. Le reste poursuit son cursus sur place en espérant qu’un éventuel conflit, une énième grève ne viennent pas saper son année. À nos gouvernants actuels donc de faire mieux. À eux de donner les moyens aux éducateurs de former de bons citoyens, une arme à double tranchant s’il en est. Car alors,les renards ne pourraient plus dévaster tranquillement le poulailler.À nos dirigeants de montrer le bon exemple, ceux-là mêmes qui mandatent l’école pour une meilleure éducation. À eux déjà de respecter les valeurs, à commencer par le respect de la parole donnée et de la confiance investie. À eux de rétablir leur crédibilité trop entamée par des affaires glauques. À eux de restaurer cette coupure entre la classe politique et le peuple, de redonner à celui-ci l’envie de participer à la vie de la Nation, de se comporter en vrai citoyen et d’arrêter l’hémorragie de l’absentéisme et le fléau du vandalisme.

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