Diaspora en trompe‑l’œil : ces “représentants” résidant au Gabon
Hier, mercredi 7 mai 2025, le Chef de l’État Brice Clotaire Oligui Nguema a convié à la résidence présidentielle ce qui était présenté comme les « représentants de la diaspora gabonaise ». Si l’intention affichée de valoriser la contribution des Gabonais de l’étranger mérite d’être saluée, la composition de cette délégation jette un doute sérieux sur la sincérité et la rigueur de l’exercice.
Une confusion des statuts
Parmi les invités figuraient plusieurs personnalités installées au Gabon depuis deux ans ou plus : Jean Delors Biyogue, candidat à la présidentielle d’août 2023, désormais haut cadre à l’AGASA, et Stéphane Nzeng, revenu au Gabon dès le lendemain du coup d’État du 30 août 2023, pour n’en citer que deux. Or l’essence même du mot « diaspora » suppose une résidence à l’étranger ; comment peut-on encore prétendre honorer des « représentants de la diaspora » qui vivent sur le territoire national ? À moins de considérer qu’ils aient jadis quitté le pays, rien ne justifie qu’on les présente aujourd’hui comme porte-voix des Gabonais de l’étranger.
Le glissement sémantique
Cette dérive sémantique est lourde de conséquences : elle dilue le sens des mesures fortes naguère vantées, comme l’attribution de deux sièges parlementaires à la diaspora, en les rendant applicables à des individus qui, pour la plupart, n’ont plus aucun lien opérationnel avec leurs pays de résidence. Les « anciens membres de la diaspora », s’ils ont souhaité revenir servir leur patrie, ne sauraient être confondus avec ceux qui, aujourd’hui, font face aux réalités – administratives, économiques, sociales – de l’expatriation.
Qui parle au nom de qui ?
L’opacité qui entoure le choix de ces délégués interroge : quels critères ont présidé à leur sélection ? Qui a légitimé leur élection au sein de leur communauté ? Sans doute la Présidence invoquera-t-elle la cérémonie d’investiture du 3 mai dernier, à laquelle certains ont pris part ; il demeure que le simple fait d’avoir été présent lors d’un événement protocolaire ne fait pas de vous le porte-parole des Gabonais de France, du Maroc ou des États‑Unis. On attendrait qu’une association ou un réseau structuré propose une liste, et non un cabinet qui aligne des noms pourvu qu’ils soient médiatiquement valorisables.
Le risque de récupération
En instrumentalisant de vieux visages, l’exécutif s’expose au reproche de confisquer la parole de la vraie diaspora : celle qui envoie des devises, crée des partenariats, milite au sein des organisations internationales ou tout simplement nourrit un quotidien d’expatrié. Ces hommes et femmes – enseignants, entrepreneurs, étudiants, travailleurs saisonniers – n’ont ni temps ni tribune pour plaider leur cause, alors que leur expertise et leur attachement à la reconstruction du Gabon justifieraient d’être entendus.
Une opportunité manquée
Au lieu de réaffirmer des principes d’inclusion véritable, cette rencontre sonne creux. L’on se souvient encore des discours enflammés du Président célébrant l’« édifice nouveau » à bâtir ensemble ; encore faudrait-il que tous ceux qui ont façonné cet « édifice » depuis l’étranger puissent y prendre leur part, et non être écartés par une définition opportuniste de la diaspora.
En cherchant à féliciter et mobiliser la diaspora, l’exécutif a commis un contresens en présentant comme tels des résidents nationaux. Cette maladresse s’apparente à une vaine opération de communication, plutôt qu’à un véritable acte de reconnaissance. Les « anciens » expatriés, s’ils méritent respect pour leur parcours, doivent être distingués de ceux qui, aujourd’hui encore, vivent et travaillent loin du Gabon. Car la vraie richesse de la diaspora, celle qui puise dans l’altérité pour prendre le pouls du monde et influer sur l’avenir du pays, ne se mesure pas en titres honorifiques, mais bien en voix. Et ces voix-là réclament d’abord d’être écoutées, là où elles se trouvent.