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Exit Rossantaga, Enter Minkoue : le jeu brutal des chaises musicales à la présidence de la République.

Lors du Conseil des ministres du 8 mai 2025, l’annonce des nouvelles nominations à la présidence a fait l’effet d’un véritable séisme politique. On y note surtout la disparition de Guy Rossatanga-Rignault – professeur de droit public et juriste influent – pourtant jusqu’ici considéré comme l’un des piliers du régime de transition. Décrit par la presse comme un « séisme feutré mais retentissant », ce limogeage brutal vient bouleverser le paysage politique gabonais. L’élection de Brice Clotaire Oligui Nguema à la tête de la Ve République s’accompagnait pourtant d’engagements de rupture et de « gouvernance résolument tournée vers les résultats et la restauration de la confiance publique », mais c’est cette première vraie purge du sommet de l’État qui cristallise désormais les débats.

Guy Rossatanga-Rignault : un technocrate omarien débarqué

Guy Rossatanga-Rignault avait longtemps incarné la voix juridique du pouvoir gabonais. Ce professeur de droit a intégré la présidence de la République sous Omar Bongo Ondimba. il fut nommé conseiller juridique du président Ali Bongo dès 2010. Il prit part à tous les dossiers brûlants du régime, se faisant le porte-parole du chef de l’État en matière juridique. En novembre 2015 il avait été promu secrétaire général adjoint de la présidence, avant de devenir le secrétaire général de la présidence en décembre 2016. Pendant près de dix ans, Rossatanga-Rignault a donc piloté l’appareil présidentiel, au point d’être perçu comme la « plaque tournante technocratique » de l’ancienne transition.

Sa soudaine éviction ce 8 mai rompt cette continuité. Le communiqué officiel ne mentionne pas son nom dans la nouvelle équipe. À l’issue du Conseil des ministres, Guy Rossatanga a été « sèchement évincé » et remplacé sans ménagement par Murielle Minkoué. Autrement dit, un fidèle des régimes successifs des Bongo a été prié de céder la place dès l’avènement de la Ve République. Ce limogeage donne un signal fort : la Présidence va se refaçonner sans tenir compte de l’ancienne garde.

Raisons politiques d’une purge annoncée

La décision d’Oligui Nguema s’explique d’abord par sa volonté affichée de rompre avec l’ordre hérité de la transition militaire et d’Ali Bongo. Dès le 8 mai, la presse gabonaise n’hésite pas à parler de « chamboulements assumés ». Le président Oligui a clairement affiché sa détermination : il veut « une Présidence à son image : neuve, disciplinée, efficace » et n’a pas hésité « à balayer ceux qui incarnaient encore l’ancien ordre de la Transition ». Rossatanga-Rignault, « fidèle parmi les fidèles », était justement le symbole de cette transition. De ce point de vue, son retrait brutal s’inscrit dans le message de performance que le nouveau chef de l’État veut envoyer à la nation. Comme le souligne un éditorial sur Info241, « la fidélité ne vaut que si elle rime avec performance, et le changement commence au sommet ».

Cet arbitrage peut aussi être lu comme un geste politique auprès de l’opinion : en confiant le secrétariat général de la présidence à Murielle Minkoué (une femme et figure technocratique) et en nommant Elza Boukandou (jeune opposante au régimed’AliBongo) comme secrétaire adjointe du Conseil des ministres, le pouvoir se présente sous un jour renouvelé. Selon les observateurs, la promotion de ces deux femmes aux plus hauts postes exécutifs est même saluée comme un « signal d’ouverture et de valorisation des compétences féminines ». Cette mise en avant de nouveaux visages permet à Oligui de revendiquer un nouveau pacte social, tout en faisant diversion face aux critiques sur la continuité des élites.

Murielle Minkoué, de la Cour des comptes à la Présidence

C’est la magistrate Murielle Minkoué Mezui (épouse Mintsa) qui prend le relais à la tête du secrétariat général de la présidence. Agée de 55 ans, elle est juriste de formation (magistrate hors hiérarchie) et a longtemps œuvré dans la haute administration financière. Née en 1970, diplômée en économie et sortie de l’École nationale de la magistrature, Murielle Minkoué a prêté serment à la Cour des comptes en 1998. Elle en devint présidente de chambre en 2018. Sous la transition, elle occupait le poste de ministre de la Réforme des Institutions depuis septembre 2023. Par conséquent, elle cumule expérience gouvernementale et compétence technique.

Sa nomination au poste de numéro deux de la présidence est donc vue comme le couronnement d’un parcours de technocrate engagée. Comme le note le site Info241, sa propulsion à ce poste-clé (après avoir été débarquée de son ministère la semaine précédente) « a été qualifiée d’ironie cinglante »: catapultée au cœur de l’État, elle devient l’une des rares femmes à occuper un rôle aussi stratégique. Les autorités présentent ce choix comme la preuve de la confiance du chef de l’État en ses capacités. Dans la Ve République naissante, Murielle Minkoué devra coordonner entre le président et le gouvernement, en s’appuyant sur les principes d’efficacité, d’intégrité et de loyauté que M. Oligui a mis en avant.

Elza Ritchuelle Boukandou, symbole de renouvellement

Moins connue du grand public, Elza-Ritchuelle Boukandou fait aussi son entrée à un poste de premier plan. Elle est nommée secrétaire générale adjointe du Conseil des ministres. Cette avocate de Ndendé (province de la Ngounié) est une militante politique très active. Elle a dirigé le Mouvement des Jeunes Upégistes, puis cofondé le parti d’opposition « Pour le Changement », et enfin été nommée députée de la transition en octobre 2023. À 35 ans, Boukandou représente la génération montante qui s’était fait remarquer lors des législatives de 2023. Sa promotion aux côtés du secrétaire Moussavou (très proche du pouvoir) envoie également un message : le pouvoir inclut désormais dans son cercle des figures issues de la société civile.

Son rôle consistera à assister le secrétaire général du Conseil dans la préparation des réunions gouvernementales. Au-delà de la fonction, son profil envoie un signal politique. Comme l’affirme encore le communiqué présidentiel, la nouvelle Ve République veut valoriser l’éthique, la responsabilité et la transparence. En nommant une jeune juriste engagée, Oligui Nguema étend en apparence son objectif de « nouvelle gouvernance » aux jeunes générations. Il reste néanmoins à voir si cette promesse se traduira concrètement : il faudra observer la marge de manœuvre réelle dont bénéficiera cette équipe dans le système décisionnel gabonais.

En marche pour bâtir la nouvelle République ?

Au total, ce « grand chambardement » au sommet du pouvoir traduit la volonté du président Oligui Nguema de marquer de son sceau la Ve République. La circulaire présidentielle publiée à l’occasion du Conseil du 8 mai martèle des axes de gouvernance basés sur l’efficacité et la loyauté. Le message est sans équivoque : la fidélité ne suffit pas, il faut des résultats. Comme l’écrit l’éditorialiste d’Info241, « Oligui Nguema trace sa route sans état d’âme, quitte à surprendre les plus aguerris ».

Reste désormais à vérifier si ces changements de têtes produiront un réel renouvellement de l’action publique. Pour l’instant, l’impression laissée est ambiguë : ces remplacements symbolisent une rupture politique – le changement commence visiblement par ceux qui occupent les fauteuils – mais le cercle du pouvoir reste élargi autour du président. Les Gabonais resteront vigilants sur les suites : au-delà du symbole de « ménage » au palais, c’est la pratique quotidienne du gouvernement (réformes institutionnelles, lutte contre la corruption, gestion des comptes publics) qui confirmera la teneur de cette Ve République.

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