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La grande valse du Woleu-Ntem : Changer de veste pour mieux rester au pouvoir

Le 9 mai 2025, une séquence familière de la vie politique gabonaise s’est rejouée : une pluie de démissions au sein du Parti démocratique gabonais (PDG), cette fois orchestrée par des figures emblématiques du Woleu-Ntem, à la veille des prochaines échéances électorales. Sous des dehors de loyauté renouvelée envers le chef de l’État, ces défections soulèvent une fois de plus la question lancinante de l’opportunisme politique et de la fluidité des allégeances dans les démocraties patrimoniales d’Afrique centrale. Exégèse politique d’un reniement en série sous couvert d’adhésion désintéressée à la « vision présidentielle”

Le prétexte du rassemblement : quand l’unité masque l’ambition

Sous couvert de « soutenir sans contrainte partisane » le président de la transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, les anciens dignitaires du PDG, parmi lesquels Daniel Ona Ondo, Emmanuel Ondo Methogo, Charles Mve Ellah et le très polyvalent René Ndemezo’o Obiang, prétendent désormais incarner l’élan du renouveau. Or, cette rhétorique de l’unité nationale n’est-elle pas surtout une feuille de vigne couvrant une ambition personnelle éperdument conservée?

L’appel au « rassemblement » devient ici une incantation commode pour justifier des réalignements tactiques. Comme l’a théorisé Pierre Bourdieu, les acteurs politiques sont engagés dans un champ où chacun lutte pour conserver ou conquérir du capital symbolique. En ce sens, la démission de ces cadres n’est pas une rupture, mais une continuité dans la stratégie d’accumulation : on change d’étiquette, mais jamais de logique.

Du ventre à la conscience : petite sociologie de l’opportunisme gabonais

Le politique gabonais ne se conçoit pas toujours comme acteur de transformation, mais souvent comme gestionnaire de proximité de ses propres intérêts. La théorie du « clientélisme » telle que décrite par Jean-François Bayart dans L’État en Afrique trouve ici un terrain d’illustration. Le parti n’est pas un vecteur de projet, mais une agence de distribution des rentes.

Dans un régime où le lien entre représentation et responsabilité est distendu, la véritable allégeance est celle qui garantit l’accès aux ressources. Ce n’est pas le programme politique qui détermine l’engagement, mais la capacité à rester dans l’écosystème du pouvoir. La conscience politique, comme le veut le mot cruel, cède souvent au dictat du ventre.

La transhumance comme mode de gouvernance en Afrique centrale

Ce phénomène n’est pas une spécificité gabonaise. En Afrique centrale, le nomadisme politique est devenu un art de la survie institutionnelle. Du Cameroun au Congo-Brazzaville, en passant par le Tchad ou la République centrafricaine, les figures politiques majeures semblent toutes détenir un costume réversible.

Comme le souligne Achille Mbembe, le pouvoir postcolonial se caractérise par un usage stratégique de la loyauté, modulé au gré des contextes. Dans cet espace politique saturé de personnalismes, l’idéologie cède le pas à la tactique, et la carrière supplante la conviction. L’homme politique, tel un être amphibie, nage entre deux eaux, vérifiant à chaque instant d’où souffle le vent de la légitimité.

René Ndemezo’o Obiang : itinéraire d’un caméléon politique

Difficile d’évoquer la transhumance sans convoquer le cas école de René Ndemezo’o Obiang, véritable maestro de l’adaptation politique. Ancien bras droit d’Ali Bongo, ex-président du Conseil national de la démocratie, opposant de circonstance puis revenant calculé, Ndemezo’o incarne le zénith du pragmatisme politique local. Son itinéraire n’est pas celui d’un militant, mais d’un stratège du système.

Il a su épouser toutes les lignes possibles sans jamais vraiment renier la précédente. Pourfendeur du PDG en 2015, il y revient plus tard avec la ferveur d’un repenti. Aujourd’hui encore, sa démission du PDG ressemble moins à un acte de rupture qu’à une reconversion interne au même système de connivences. Caméléon ? Non. Stratège. Et peut-être même prophète d’une époque où la consistance politique est un luxe.

Refonder les institutions…Quid des mentalités ?

La nouvelle République entamée au Gabon se veut refondatrice. Mais que vaut la refondation des institutions sans celle des comportements ? Le renouveau promis par le président Oligui Nguema peut-il survivre à la reproduction des pratiques anciennes ?

La théorie de la « démocratie sans démocrates » défendue par Alfred Stepan trouve ici un écho glaçant. Les structures peuvent être bâties, les textes réécrits, mais si les acteurs restent les mêmes, portant les mêmes logiques de captation, la « nouvelle République » ne sera qu’un recyclage cosmétique de l’ancienne. La question n’est donc pas seulement institutionnelle : elle est anthropologique.

Les Bâtisseurs, la Nouvelle République et les nomades

La défection orchestrée des cadres du PDG dans le Woleu-Ntem, drapée dans les oripeaux de la liberté politique, tient moins du sursaut citoyen que d’un saut de trapézistes avertis vers le filet de sécurité du nouveau pouvoir. Le véritable péril n’est pas leur migration en soi, mais l’illusion qu’elle serait inoffensive, anodine, presque naturelle. C’est là que réside le poison lent de la banalisation.
Mais le président Oligui, lecteur assidu du Prince de Machiavel, n’est sans doute pas dupe. Il sait que les plus prompts à acclamer un chef sont souvent les premiers à déserter le lendemain. La reconstruction républicaine ne peut reposer sur des fondations mouvantes. Les bâtisseurs sincères de la Nouvelle République doivent pouvoir, à tout moment, se désabonner des services des nomades politiques professionnels.
La refondation, pour être effective, devra opérer un tri : celui des fidélités construites sur des convictions, et non sur des calculs. L’« éthique de la responsabilité » chère à Max Weber ne pourra émerger que si l’on renonce à l’indulgence perpétuelle envers les spécialistes de la volte-face. Et rappelons-le avec ironie : à force de retourner trop souvent sa veste, on finit par la trouée, voire se retrouver nu face à l’Histoire.

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